18 août 2021 • ACTUALITÉS
Le 2 juillet 2021, Chantal Mir, directrice générale du pôle Habitat et action sociale au sein de GROUPE SOS Solidarités, est intervenue lors des Rencontres économiques d’Aix, organisées par le Cercle des économistes. L’occasion de revenir sur l’importance de développer une politique de Logement d’abord ambitieuse, pour enfin en finir avec le non-sens économique et humain des dispositifs actuels.
« L’épidémie du Covid-19 dans laquelle nous sommes plongés depuis plus d’un an a aggravé la pauvreté en France. Selon les dernières données de l’INSEE, 143 000 nouveaux ménages ont perçu le RSA en 2020 (portant le total à 2,06 millions de foyers), et le nombre d’étudiant.e.s ayant bénéficié d’une aide d’urgence du CROUS a augmenté de 48% en un an (pour un total de 10 000 étudiant.e.s). Si le dernier décompte quant au nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France le portait à 9,1 millions de personnes, celui-ci date de 2019 ; et tout porte à croire qu’il a connu entretemps une augmentation drastique.
Les équipes de terrain du GROUPE SOS l’observent chaque jour : non seulement la pauvreté, voire la grande pauvreté augmente, mais elle se pérennise. La grande pauvreté concerne les ménages touchant moins de 900 euros par mois, et subissant des conséquences directes quant à leur capacité à répondre à des besoins vitaux : se chauffer, se nourrir ou se vêtir par exemple. Environ 2 millions de personnes seraient concernées. Et parmi elles, l’INSEE estime que seules 13% parviennent à en sortir dans un délai de 3 ans. La crise sanitaire est venue aggraver certaines situations déjà fragiles : perte des emplois précaires, des réseaux de soutien matériel, augmentation de l’endettement…
Cet échec des politiques de lutte contre la grande pauvreté et le mal-logement n’est pas une surprise pour les acteurs et actrices de terrain. A titre d’exemple, le secteur de l’hébergement accueille des milliers de ménages disposant de revenus qui, alors même qu’ils sont en capacité d’intégrer un logement social et d’en assumer le loyer, vont demeurer hébergés plusieurs années. Or, le dispositif d’hébergement n’agit généralement pas comme un « sas » constructif pour se projeter dans l’avenir, mais a davantage tendance à générer de nouvelles ruptures dans les parcours des personnes accueillies.
En effet, deux phénomènes le rendent structurellement inefficient. Tout d’abord, le dispositif persiste à fonctionner « en escalier » : les personnes naviguent de dispositifs en dispositifs, poussées à déménager au risque de déstabiliser les organisations en place (emploi, garde d’enfant…). Comment alors trouver le temps, l’énergie ou même la continuité d’accompagnement nécessaire pour se poser, reprendre sa vie en main, prendre soin de soi ou conserver un emploi ?
Ensuite, ce problème est encore aggravé par la persistance de la « gestion au thermomètre », qui consiste à ouvrir des places d’hébergement en octobre pour les fermer en avril : les personnes sont tour à tour logées quand les températures baissent, remises à la rue à la sortie de l’hiver. C’est une épée de Damoclès permanente, profondément contreproductive.
C’est également un non-sens économique, forçant les opérateurs à constituer des équipes en urgence malgré les difficultés de recrutement, recourir aux CDD et subir les surcoûts des primes de précarité, capter des bâtis au pied levé sans optimisation du coût de ces derniers, et sans possibilité d’une gestion pluriannuelle vertueuse en termes de maintenance ou d’investissement. Cette gestion court-termiste est coûteuse pour l’ensemble des parties prenantes : les personnes concernées s’enlisent dans la pauvreté faute d’un accompagnement et d’un logement serein et stabilisé, les opérateurs et l’Etat perdent temps et argent à courir au rythme des ouvertures et fermetures de places.
Notons quand même que pour la première fois cette année, le Gouvernement a annoncé la pérennisation des 200 000 places ouvertes l’hiver dernier jusqu’en mars 2022 : nous espérons y voir la fin définitive de la « gestion au thermomètre ».
Pour que ce « logement d’abord » soit un succès, trois conditions nous paraissent nécessaires : un premier accueil court dans un hébergement « sas », permettant d’évaluer précisément les besoins de chaque personne. Ensuite, l’accès à un logement sans condition ; c’est-à-dire en acceptant qu’une personne puisse avoir droit à l’erreur, connaître de nouveaux aléas dans son parcours. Enfin, en instaurant un véritable droit à l’accompagnement, déconnecté de la situation d’habitat ; c’est-à-dire disponible que la personne soit à la rue, en hébergement ou dans un logement pérenne. Cela permettrait à la fois de pérenniser les parcours de réinsertion et d’intervenir en prévention, quand une personne connait une rupture de parcours, afin d’éviter de réenclencher une spirale d’exclusion. »
Chantal Mir, directrice générale du pôle Habitat et action sociale au sein de GROUPE SOS Solidarités
Découvrez le replay de l’événement
Le 2 juillet, Chantal Mir est intervenue lors de la session intitulée « Précarité, pauvreté, quelles initiatives ?« . Elle a échangé avec :
- Hafsat Abiola, présidente de Women in Africa Initiative
- Jean Dreze, professeur du Département d’économie, Université de Ranchi (Inde)
- Marie-Aleth Grard, présidente de Mouvement ATD Quart Monde
- Tristan Vicente, responsable de l’antenne de Toulouse du parti Allons Enfants