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Face aux excès de la marchandisation de l’intérêt général, le secteur non lucratif est une alternative

1 octobre 2024 • ACTUALITÉS

Cette tribune a été publiée dans une version abrégée sur le site des Echos.

Par Jean-Marc Borello, président du Directoire du Groupe SOS

Après les scandales touchant les maisons de retraite, c’est au tour des tout-petits d’être au centre des préoccupations. La parution du dernier ouvrage de Victor Castanet, Les Ogres (Flammarion), jette une lumière crue sur les dérives de certaines entreprises privées lucratives, parfois motivées uniquement par le profit, et de plus en plus implantées dans des secteurs essentiels à l’intérêt général.

Selon les définitions classiques, l’intérêt général renvoie à ce qui profite « à l’ensemble de la société, plutôt qu’à des individus ou des groupes spécifiques ». Pourtant, des secteurs comme la petite enfance, la solidarité, ou encore l’accompagnement des seniors sont de plus en plus traités comme des marchandises, où le profit l’emporte sur le bien-être des personnes concernées. Cette dérive n’est pas seulement alarmante, elle constitue une menace directe pour le tissu social.

Les Ehpad, les crèches privées, les cliniques… De récents scandales ont révélé que le secteur privé lucratif privilégie parfois la quête effrénée du profit au détriment du respect de la dignité, conduisant à des dérives inacceptables. Il serait bien sûr injuste de généraliser : des entreprises à mission et entrepreneurs à impact œuvrent avec sincérité et responsabilité, cherchant à concilier profitabilité et respect de l’intérêt général. Ces acteurs prouvent que la recherche d’un modèle économique viable peut cohabiter avec une volonté de bien-faire. Saluons ici leur engagement à faire les choses correctement.

Pour autant, si les statuts ne font pas la vertu, nous restons convaincus que certains domaines ne devraient jamais être motivés par le profit. Ils sont des piliers de notre société et doivent être préservés de la logique du marché.

Dans ce contexte, et alors que le maillage des services publics s’affaiblit, le secteur non-lucratif émerge comme une alternative concrète. La France compte 1,5 million d’associations en activité. Souvent réduit à tort au bénévolat, le secteur associatif représente pourtant 9 % de l’emploi privé, soit plus que la construction (8,2 %) ou les transports (7,3 %). Un quart de ces associations œuvrent dans les secteurs du social, de la santé, de l’éducation ou encore de la formation et de l’insertion.

On le sait peu, mais plus de 20% des crèches en France sont gérées par des structures associatives, relevant donc du secteur non lucratif. De même, 10% des hôpitaux et plus d’un quart des Ehpad sont dirigés par des organismes à but non lucratif. À ce titre, le Groupe SOS gère plus de 60 crèches associatives, les crèches Crescendo, qui placent au cœur de leurs pratiques la qualité de l’accueil ainsi que l’apprentissage de l’égalité filles-garçons dès le plus jeune âge. Le Groupe SOS gère également 11 hôpitaux associatifs venant en complément de l’offre publique, et plus de 100 EHPAD associatifs.

Chaque jour, des milliers de salariés du secteur associatif travaillent dans des crèches, des hôpitaux, des établissements sociaux, des EHPAD… Ce secteur a démontré sa capacité à innover et à améliorer la qualité des services. Son action a même contribué à faire évoluer certaines lois, prouvant ainsi son rôle dans la transformation sociale et la défense de l’intérêt général.

Il ne s’agit pas de dire que le secteur non-lucratif est le seul qui vaille, ni de prétendre qu’il est irréprochable ou à l’abri de tout dysfonctionnement. Les services publics jouent un rôle essentiel pour garantir l’accès à des droits fondamentaux, et le secteur lucratif a prouvé sa capacité à innover et investir. Par ailleurs, on ne peut reprocher aux entreprises de rechercher le profit. Le secteur privé lucratif vise la rentabilité, tandis que le secteur associatif se consacre à l’intérêt général : il s’agit d’objectifs distincts. Cependant, dans les domaines sanitaires, sociaux et médico-sociaux, ni la gestion 100 % publique ni la gestion 100 % privée n’apportent de solution idéale. La gestion publique est souvent trop rigide, tandis que la logique de profit du privé peut conduire à des dérives. Un équilibre est nécessaire, plaçant l’intérêt général au cœur de l’action. Des solutions existent.

Lorsque seulement 9 % des enfants de moins de 3 ans issus des 20 % des ménages les plus pauvres sont accueillis en crèche, contre 68 % des enfants des foyers les plus aisés, il devient évident qu’une inégalité profonde persiste. Une solution serait d’obliger les crèches privées lucratives à accueillir davantage d’enfants de familles modestes, afin de servir l’intérêt général. Car en réservant les établissements publics ou associatifs aux seuls ménages modestes, on risque de créer des crèches pauvres pour les pauvres, aggravant ainsi les inégalités plutôt que de les réduire.

Par ailleurs, pour envisager une voie entre les services publics et le secteur privé lucratif, le modèle néerlandais offre une piste. Aux Pays-Bas, certains services essentiels sont confiés à des associations et fondations à but non lucratif, qui assurent leur gestion en restant focalisées sur l’intérêt général, sous la supervision rigoureuse de l’État. Ce cadre permet d’assurer un contrôle strict de la qualité des services et de l’utilisation des fonds publics, tout en offrant un service de proximité, plus réactif et adapté aux besoins locaux.

Il est urgent de freiner la marchandisation des services d’intérêt général et de redonner au secteur associatif la place qui lui revient. Acteur indispensable dans la défense de l’intérêt collectif et la construction d’une société plus équitable et solidaire, le monde associatif ne peut être relégué au second plan. Il ne suffit pas de lui garantir un financement adéquat ; il est tout aussi crucial de l’impliquer dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. Si les associations venaient à disparaître, ni le secteur public ni le privé lucratif ne seraient capables de combler ce vide.

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