Les dysfonctionnements kafkaïens de la plateforme numérique des demandes de titres de séjour, signalés à maintes reprises aux pouvoirs publics, entravent l’accès des personnes étrangères au marché du travail, aggravent leur précarisation et pénalisent lourdement les associations et les entreprises qui les accompagnent ou les emploient.
Dix associations ont déposé, le 27 mars, un recours devant le Conseil d’État pour « carence fautive » et enjoindre l’État à appliquer la loi sur l’Administration numérique des étrangers en France (ANEF). Cette plateforme de service public, obligatoire depuis 2021 pour 83% (1) des titres de séjour, était censée simplifier toutes les demandes de titres de séjour (première délivrance ou renouvellement). Ses dysfonctionnements massifs et récurrents en ont fait un outil à fabriquer de la précarité.
Depuis trois ans, les associations signalent les bugs de la plateforme qui ont pour conséquence de priver les personnes étrangères de la garantie d’une vie privée, familiale et professionnelle. Impossible d’effectuer plusieurs démarches simultanées, impossible de renouveler son attestation de prolongation d’instruction (API), impossible de signaler un changement de résidence ou de situation… Résultats : des parcours de vie brisés, des personnes empêchées de travailler, des entreprises privées de salarié·es, des associations qui s’épuisent dans des procédures dysfonctionnelles et des services préfectoraux qui peinent à débloquer des situations.
Une enquête de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) auprès des associations adhérent·es et de ses partenaires a largement documenté ces constats : la majorité des associations a constaté que les personnes accompagnées avaient perdu leurs droits à France Travail et pour 45% leurs droits à l’emploi (rupture de contrat, interdiction de travailler…) (2). La Défenseure des droits a dénoncé « des atteintes massives aux droits des usagers » et formulé une série de dix recommandations, observant que plus de 30% des saisines relatives aux services publics avaient concerné, en 2023, les droits des personnes étranger.es, et donc l’ANEF (3).
Après plusieurs réunions avec le ministère de l’Intérieur, un courrier signé par les dix associations requérantes avait été envoyé au ministre le 17 décembre 2024 pour l’alerter et proposer une série de mesures correctives (4). 1 Dans un contexte inquiétant de stigmatisation des personnes étrangères, après la loi immigration et la circulaire Retailleau, le dispositif dysfonctionnel de l’ANEF est un frein à l’insertion sociale et économique des personnes étrangères, notamment des réfugiés. La dignité des personnes, le respect des engagement professionnels et bénévoles et le dynamisme des entreprises devraient pourtant conduire à un accès simplifié au séjour, à l’emploi et à l’intégration.