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L’Adejo : pour accueillir les sans abris

29 mars 2024 • ACTUALITÉS

Adejo, pour accueil de jour. Mais ne vous arrêtez pas à son nom : l’Adejo fait bien plus pour les personnes en situation de précarité. Créé pour répondre aux besoins les plus vitaux des personnes à la rue – manger, dormir –, cet établissement historique de l’association Groupe SOS Solidarités à Nîmes a développé ces dernières années de nouveaux dispositifs d’hébergement. De l’accueil d’urgence jusqu’au logement pérenne : immersion au sein de l’Adejo.

11h30, à quelques minutes à pied de la gare, juste en face des rails aériens, des dizaines de personnes commencent à se réunir devant les locaux de l’Adejo. Toutes et tous sont là pour avoir un repas chaud et équilibré. La distribution de repas, c’est l’activité historique de l’établissement. « On sert des repas gratuitement, sans aucune condition » explique Camille, le directeur. « Il existe d’autres accueils de jour à Nîmes, mais notre spécificité, c’est que même les personnes refoulées d’autres endroits sont acceptées. Ce sont des personnes en très, très grandes difficultés qui viennent ici. On peut avoir des toxicomanes, des gens avec des chiens, des personnes alcoolisées » Et les besoins sont là : l’équipe a servi 87 000 repas en 2023. Matin, midi et soir, 7 jours sur 7 : le soutien de l’équipe est inconditionnel et essentiel pour ces personnes. « La seule règle, c’est le comportement. On peut être alcoolisé mais calme, dans ce cas-là, manger est même très important pour redescendre. »

Aujourd’hui, au menu, c’est hachis-parmentier, salade de choux épicée, mousse au chocolat. En cuisine, il y a Louiza, la cheffe, bien épaulée par Chan, bénévole. Lorsque Kanso, agent d’accueil, ouvre les portes, tout le monde entre dans le calme. La plupart sont des habitué·e·s, qui connaissent les règles et le fonctionnement.

Photo de droite : la salle de restauration de l'Adejo. Plus de 300 repas sont servis chaque jour. ©Brian dH

Si la majorité des personnes présentes sont des hommes isolés, on retrouve aussi des femmes, des couples, des familles avec enfant. Tous les âges sont représentés. La doyenne a plus de 70 ans, le plus jeune enfant accompagné ne doit pas avoir plus de 10 ans. Certain·e·s ont « la chance » d’avoir un toit, mais n’ont pas les moyens de s’acheter à manger. Certain·e·s ont un travail. On observe un jeune homme arriver avec son vélo et un uniforme de livreur, qui mange à toute vitesse avant de repartir faire ses livraisons. D’autres prennent plus de temps, discutent entre eux, avant de repartir sans oublier de remercier poliment l’équipe. Après une trentaine de minutes, Kanso presse les retardataires, pour pouvoir laisser place au deuxième service.

Après le repas, l’Adejo semble bien calme. Seules quelques personnes flânent sur la terrasse, devant, attendant patiemment des rendez-vous ou le prochain repas. Les agents d’accueil vont nettoyer de fond en comble toute la salle, pour qu’elle soit prête pour le dîner. Car le soir, tout recommence. L’Adejo s’anime à nouveau, les personnes en précarité se rassemblent aux alentours de 17h30. En un coup d’œil, on peut remarquer que beaucoup étaient là au déjeuner également. Déroulant la même partition bien rodée, les agents d’accueil et les cuisinier·ère·s assurent impeccablement la centaine de couverts à servir.

Photo de gauche : Louiza, la plus ancienne cuisinière de l'Adejo.

Après le dîner, vers 19h30, les grilles du portail se referment. Mais pas pour très longtemps. Contrairement à ce qu’évoque son nom, l’Adejo ne dort jamais. A 20h00, deux veilleurs de nuits, Sami et Rémi, prennent la relève. A l’étage, 26 lits, en chambre de 2, ont été préparés. 17 places sont demandées directement le matin par des sans-abri qui fréquentent l’établissement. La liste est transmise au 115, qui valide et complète les 7 autres places selon les demandes qu’il reçoit. 2 places supplémentaires sont dédiées au Samu Social.

A 20h30, Sami et Rémi se retrouvent devant la grille, avec la liste des inscrit·e·s. Ils ouvrent et font l’appel, laissant rentrer les différentes personnes au compte-goutte. Ils font les répartitions dans les chambres. Les femmes sont systématiquement mises dans des chambres dédiées, pour éviter tout risque. Dans le couloir, l’ambiance reste animée, avec des discussions. Beaucoup se connaissent bien. « Mais à 22h, généralement, tout le monde dort. Ils sont épuisés de leur journée, dans la rue » explique Sami. « Ça nous arrive de devoir intervenir pour recadrer, mettre de l’ordre, voire sortir des gens. Mais ils connaissent tous les règles, donc la plupart du temps ça se passe bien. Et le lendemain, beaucoup viennent nous voir pour nous remercier : ils n’ont pas souvent l’occasion de se reposer vraiment ».

Les repas, les nuits, mais aussi la bagagerie, la laverie, ou tout simplement l’accès à des sanitaires : l’accueil d’extrême urgence est salvateur pour toutes les personnes en grande précarité qui fréquentent l’établissement.

Photo de droite : à 20h30, Sami, veilleur de nuit, fait rentrer les personnes qui pourront dormir pour la nuit

Sanitaires, draps propres, chambre de deux : une mise à l'abri digne salvatrice pour les personnes à la rue

 

Le rôle de l’Adejo va cependant bien au-delà. « Pour nous, les repas, c’est un prétexte pour pouvoir créer du lien avec les personnes invisibilisées, à la rue, et leur proposer un accompagnement. » rappelle Camille. Sortir de l’urgence, pour entamer un processus de rétablissement : c’est la mission finale de l’Adejo. L’établissement propose aux personnes sans abri de se domicilier ici. Elles peuvent ainsi recevoir du courrier, essentiel dans les démarches administratives. Les agents d’accueil sont en première ligne pour repérer les nouvelles personnes, leur permettre d’avoir des premiers échanges avec des professionnel·le·s, et les réorienter vers les équipes d’autres dispositifs. C’est souvent le point de départ pour qu’une autre équipe, le Service d’accueil et d’orientation (SAO) puisse intervenir. Elle permet aux personnes qui le souhaitent d’obtenir un suivi personnalisé, un soutien, un conseil, une aide pour l’obtention et l’ouverture des droits sociaux en matière de santé, de logement et/ou de réinsertion.

Face à la diversité des besoins, l’Adejo a développé ces dernières années différents dispositifs d’hébergement pour répondre à toutes les situations. L’équipe propose un hébergement en diffus de 97 places, c’est-à-dire dans des appartements disséminés dans Nîmes. « Cela permet notamment d’accueillir des familles. » précise Camille. « Elles sont orientées par le 115. Souvent, elles sont placées en hôtel au début, mais à 5 dans un 9m², ça devient vite invivable. Donc avoir ces appartements est vraiment précieux ». L’Adejo a notamment 8 places réservées aux personnes, hommes ou femmes, victimes de violences. Un service d’intermédiation locative a également été développé. « Il permet aux personnes qui ont des petites ressources, qui sont à deux doigts d’être autonomes, mais à qui personne ne veut louer car la situation n’est pas encore stable. » L’Adejo devient un intermédiaire qui rassure le propriétaire : il assure le versement des loyers, et accompagne les personnes dans le « savoir habiter ». Après le début de la guerre en Ukraine, l’établissement a même ouvert un service supplémentaire d’intermédiation locative dédié aux personnes migrantes venant d’Ukraine. A eux deux, les services proposent 124 places en appartements.

« Pour nous, les repas, c’est un prétexte pour pouvoir créer du lien avec les personnes invisibilisées, à la rue, et leur proposer un accompagnement.« 

Camille Maridet-Juan, directeur de l’Adejo

Grâce à ses dispositifs différents, l’Adejo peut à la fois toucher les personnes les plus précaires, et entamer un processus de rétablissement quelles que soient les situations. Cela a été le cas pour Assane1, par exemple. Ancien légionnaire, il s’est retrouvé à la fin de son service sans papiers à cause d’un problème administratif dans son pays d’origine, et donc apatride et sans aide. « Les 6 premiers mois après mon départ de la légion, j’avais le droit de travailler. Je dormais à l’Adejo, et la journée je travaillais. Ça me permettait de payer l’hôtel pour mon fils. Mais au bout d’un moment, je n’avais plus le droit de travailler. Toute la journée, je m’asseyais sur un banc, à attendre. Il fallait absolument que je trouve un moyen de vivre avec mon fils, parce que la garde était partagée avec sa mère. » Heureusement, l’équipe de l’Adejo a pu lui mettre à disposition un appartement. « Ici, ils m’ont sorti de la merde, parce que j’étais perdu. Je commençais à boire… alors que tout ça c’est pas mon truc. J’ai honte. L’équipe m’a beaucoup aidé. Aujourd’hui, je peux vivre avec mon fils. Je n’attends plus qu’une chose, c’est d’avoir un vrai travail. Le jour où j’ai mes papiers, je travaille le lendemain. »

Photo de gauche : Assane et Manon, son éducatrice référente
Photo ci-dessous : Naïra, arrivée en FRance en 2013, dans l'appartement mis à disposition par l'Adejo

Naïra, elle, a pu éviter de passer par la rue. « J’ai 36 ans, je suis arménienne. Je suis mariée, j’ai deux enfants, de 10 et 6 ans. En Arménie, j’ai étudié pendant 8 ans aux Beaux-Arts. Je suis entrée en France en 2013, avec mon mari et mon premier enfant. J’ai déposé mon dossier de demande d’asile. Ça a été refusé. Pendant 4-5 ans, c’était compliqué, on est passés par plusieurs dispositifs avec mon mari et mon premier fils, alors qu’il avait à peine un an, un an et demi. Trouver un logement privé était impossible, c’était trop cher même si je travaillais. Après, on m’a orienté vers l’Adejo. Au début, ils ont réussi à me proposer un premier appartement, mais trop petit pour vivre à 4. Et cette année, on a pu en avoir un plus grand. » Chez elle, rien ne semble témoigner de ce passé difficile. Ses deux enfants partagent une chambre. Sur le mur du salon, on retrouve les œuvres de Naïra, témoignant de ses études aux Beaux-Arts. Manon, travailleuse sociale, vient régulièrement lui rendre visite pour le suivi de toutes les procédures. « L’Adejo m’a aidé à monter mes dossiers pour être régularisée. Ça a été refusé 3 fois. Là je suis en train de déposer mon 4ème dossier… j’espère que pour la 1ère fois, après 11 ans ici, ça va fonctionner. Parfois j’appelle Manon à 9h du soir pour m’aider à remplir des documents de toute urgence. Mais ça va plus loin que ça, on se parle de notre vie, de tout ! » dit-elle en riant. « Maintenant ça va mieux : mon mari a trouvé du travail, mes enfants vont à l’école, j’ai le temps de travailler, de faire du bénévolat, de suivre des cours de français. Il ne me manque plus qu’un titre de séjour, pour pouvoir avoir l’équivalence de mes diplômes. Je suis une formation de webdesigner, je pense que ça peut marcher. J’ai mille projets, après on peut parler, la réalité c’est autre chose, tant que je n’ai pas été régularisée, c’est compliqué. »

Les histoires d’Assane et de Naïra, nous le rappellent : le chemin pour trouver une « vie normale » est malheureusement très long. Mais il serait impossible sans le travail des équipes comme celle de l’Adejo. Loger en toute dignité, quelles que soient les situations, et toute l’année, ce n’est certes que l’une des dimensions de la réinsertion. Mais c’en est une condition indispensable.

Manon, travailleuse sociale, fait des visites régulières dans les appartements

"Parfois j’appelle Manon à 9h du soir pour m’aider à remplir des documents de toute urgence. Mais ça va plus loin que ça, on se parle de notre vie, de tout !"

Loger sans condition, en toutes saisons !

 

Le 31 mars marque la fin de la très célèbre “trêve hivernale”, période de suspension des expulsions locatives en France. Elle est mise en place chaque année pour protéger les locataires précaires pendant les mois les plus froids, et pour fournir un hébergement d’urgence aux personnes sans abri ou menacées de l’être pendant l’hiver. Une trêve qui masque temporairement les problèmes structurels du logement et de l’exclusion sociale.

 

Ne laissons pas perdurer de solutions construites pour l’urgence.

 

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