14 décembre 2022 • ACTUALITÉS
La précarité alimentaire est à l’origine de ce que Bénédicte Bonzi, docteure en anthropologie et cheffe de projet Agricultures et Alimentation au sein du cabinet de conseil en transition Auxilia, définit comme des « violences alimentaires ». Des conséquences physiques et psychologiques que vivent quotidiennement les bénéficiaires de l’aide alimentaire. Quelles sont-elles ? Quelles sont les solutions ? Entretien.
Educatrice spécialisée de formation, Bénédicte Bonzi a mené pendant plusieurs années des travaux de recherches, en lien avec les associations d’aide alimentaire, dans le cadre d’une thèse.
D’où viennent les « violences alimentaires » ?
« Après plusieurs années sur le terrain à agir dans l’aide alimentaire, on remarque une certaine tension chez les personnes qui y ont recours. J’ai déjà vu un jeune homme prêt à frapper un autre bénéficiaire qui lui avait volé un éclair au chocolat qu’il venait de recevoir. Ce sont des scènes qui arrivent, pas souvent, mais qui arrivent… Comment ce jeune homme a-t-il pu en arriver-là ? Ce que l’on perçoit du terrain, et ce que mes recherches m’ont mené à conclure, c’est que cette violence comportementale résulte des violences que cette personne vit au quotidien. Pour ce jeune homme, comme pour les trop nombreuses personnes qui vivent une situation de précarité alimentaire, cela provient d’une situation structurelle liée à notre système alimentaire, défectueux. C’est l’obligation de survivre dans un pays où le droit à l’alimentation, théoriquement garanti, n’est pas appliqué. »
Quelles formes peuvent prendre ces violences ?
« Les violences physiques sont assez connues et issues d’une dénutrition ou d’une malnutrition : obésité, hypertension, anémie… Les violences psychologiques, ou morales, résultent de tout l’environnement : des situations d’intimidation dans la file d’attente d’une aide alimentaire, des situations de contrôle, avec l’obligation de montrer régulièrement leurs papiers, la frustration de ne pas avoir suffisamment à manger… Ces violences morales sont insidieuses, parce qu’elles font pleinement partie de leur quotidien, et s’intensifient peu à peu chaque jour. C’est très dur pour ces personnes, mais pas que : les bénévoles de l’aide alimentaire sont également en première ligne pour vivre ces tensions, les absorber. Cela leur donne un rôle social énorme, qui va bien plus loin que le don de nourriture. »
Comment peut-on agir ?
« Comme je l’ai dit, les structures de l’aide alimentaire sont essentielles, en tant que dernier rempart à ces violences. Les bénévoles font un travail formidable. Il nous faut aller plus loin avec eux, nous baser sur leurs connaissances et compétences pour repenser le système alimentaire au niveau national, et à l’échelle des territoires. C’est ce que nous faisons avec Auxilia : nous proposons de coordonner les différents acteurs de l’aide et de l’approvisionnement alimentaire au sein d’un territoire : comment bien recenser le nombre de personnes dans le besoin, qui est souvent bien supérieur au nombre de demandeurs ? Quelles sont les capacités de réponses, localement ? Où trouver les produits ? Quels moyens mettre en œuvre ? Comment y associer les bénéficiaires de l’aide alimentaire au quotidien ? Autant de questions auxquelles nous répondons, en lien avec tous les acteurs des territoires qui recherchent notre expertise, et dans la perspective d’œuvrer au déploiement d’une véritable démocratie alimentaire. »
- Aller plus loin : regardez l’intervention de Bénédicte Bonzi à La Croix-Rouge Française
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